Label ISR 3.0 : Des règles plus strictes pour l’investissement socialement responsable en France

par Patrick Fiorani

Le révolutionnaire label français ISR (investissement socialement responsable) permet aux investisseurs individuels de choisir des instruments d’épargne financière qui intègrent des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance. Toutefois, les préoccupations concernant l’écoblanchiment ont donné lieu à une nouvelle version 3.0 de l’ISR, qui impose aux gestionnaires d’actifs des exigences supplémentaires en matière de déclaration, ainsi que des règles plus strictes en matière d’attribution des portefeuilles, d’engagement avec les émetteurs, de gestion des controverses, de vote par procuration et d’autres domaines de gérance.

Contexte

Premier du genre, le label ISR a été lancé en 2016 et a bien réussi à répondre à l’appétit des investisseurs pour les questions liées à l’ESG. Toutefois, la fiabilité du label ISR a été remise en question en raison des risques d’écoblanchiment.

En effet, les deux premières versions ISR ont donné lieu à un comportement d’investissement qui ne semble pas correspondre à son intention. Selon une étude réalisée par Epsor en 2022 sur un échantillon de 814 fonds actions :

  • 53 % des sociétés dans lesquelles les fonds sont investis sont communes aux fonds labellisés et non labellisés. Par exemple, TotalEnergies apparaît dans 19 % des fonds ISR (comparativement à 20 % des fonds non labellisés).
  • 80 % des fonds ISR comprennent des placements dans au moins une société liée aux combustibles fossiles.

Cela ne correspond pas non plus aux attentes des épargnants. Selon un sondagecommandé par le Forum pour l’Investissement (FIR) et réalisé par Ifop en août 2023 :

  • Plus de 80 % des épargnants estiment que les activités liées au pétrole ou au charbon ne sont pas compatibles avec un investissement responsable.
  • 76 % croient que les fonds « responsables » sont principalement un outil de marketing et qu’ils n’ont pas d’incidence importante sur l’utilisation réelle de l’épargne.
  • 57 % estiment que l’investissement responsable devrait exclure certains secteurs d’activité.

Pour répondre à ces préoccupations, le gouvernement a publié une nouvelle version 3.0 du label ISR. Les nouvelles obligations, en vigueur depuis mars 2024, sont plus ambitieuses et font de l’impact climatique un principe clé du label ISR.

Les énergies fossiles excluesdu label ISR

En vertu de la nouvelle version du label ISR, l’admissibilité au fonds est conditionnée à l’exclusion des sociétés exploitant du charbon ou des hydrocarbures non classiques, ainsi que de celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures (pétrole ou gaz).

En observant les statistiques publiées sur les pratiques passées dans l’utilisation du labelISR dans sa première version, nous nous attendons à une refonte des produits d’investissement anciennement commercialisés sous ce même label.

Les nouvelles normes exigent que les gestionnaires d’actifs prennent un engagement clair et non équivoque à l’égard de la transition énergétique.  Ceci devrait aider à calibrer les décisions d’investissement de manière très précise, alors que la réglementation européenne ne va pas aussi loin, notamment parce qu’elle n’inclut pas de taxonomie brune, à savoir, une classification des activités à forte intensité d’émissions.

Ambition climatique

En vertu de la nouvelle version 3.0, les gestionnaires d’actifs des fonds labellisés ISR doivent soutenir les entreprises dans leur transition énergétique, dans le but d’aligner progressivement les portefeuilles ISR sur l’Accord de Paris.

Par exemple, dorénavant, les gestionnaires doivent analyser les stratégies de transition de toutes les entreprises de leur portefeuille, à partir des objectifs de réduction des émissions, jusqu’aux ressources (financières, opérationnelles, humaines) et aux pratiques de gouvernance mises en place pour atteindre les objectifs de transition (participation des instances dirigeantes, etc.)

Dès le 1ᵉʳ janvier 2026, les Fonds ISR devront investir au moins 15 % de leur portefeuille dans des secteurs à impact élevé. Selon la version 3.0, ces investissements à impact élevé devront avoir des plans de transition conformes à l’Accord de Paris.

Vote aux assemblées générales

Les nouvelles normes du label ISR 3.0 stipulent que les gestionnaires d’actifs formalisent leur politique de vote et la publient sur leur site internet.

Les normes exigent que les sociétés de gestion exercent activement leurs droits de vote auprès de sociétés françaises et étrangères. Ils doivent publier leurs rapports sur l’exercice de la politique de vote, en précisant les votes relatifs aux résolutions présentées aux assemblées générales des sociétés de portefeuille, sur leur site internet (le cas échéant, sur la page dédiée à ce fonds ou OPC spécifique).

Le taux d’exercice des droits de vote doit être significatif – tous les fonds ISR, quelle que soit leur taille, doivent démontrer qu’ils ont exercé leurs droits de vote aux assemblées générales dans les proportions suivantes :

  • Pour les sociétés françaises, plus de 90 % des assemblées générales pour lesquelles le fonds détient des droits de vote (70 % jusqu’au 1/1/2025), et
  • Pour les sociétés non françaises, plus de 70 % des assemblées générales pour lesquelles le fonds détient des droits de vote (50 % jusqu’au 1/1/2025).

De plus, les fonds doivent justifier les cas où ils n’ont pas exercé leurs droits de vote.

En outre, la société de gestion doit également publier sa participation à des coalitions d’actionnaires et les éventuelles résolutions déposées dans ce cadre, ou la raison pour laquelle elle n’a pas participé aux actions collectives.

Engagement actionnarial

Les nouvelles normes ISR  rendent obligatoire l’engagement des gestionnaires d’actifs avec les sociétés du portefeuille et fournissent un cadre quantitatif et qualitatif pour l’engagement. L’obligation de s’engager est une obligation accrue de moyens. Par conséquent, bien que les gestionnaires d’actifs ne soient pas tenus d’aligner les stratégies climatiques des entreprises sur l’Accord de Paris, ils doivent néanmoins punir l’incapacité d’atteindre leurs objectifs en instaurant une politique d’escalade qui mène au désinvestissement.

Les nouvelles normes stipulent que les sociétés de gestion doivent formaliserleur politique d’engagement au niveau ESGet la publier sur leur site internet, y compris :

  • Le contenu de la politique d’engagement au niveau ESG et, en particulier, son lien avec la politique de controverse du directeur (voir « Gestion des controverses » ci-après), les thèmes de la mission, etc.;
  • Les ressources humaines, ou les ressources externes (services-conseils), consacrées à la politique d’engagement ESG et leur lien avec les ressources de recherche ESG;
  • Son processus d’escalade formalisé, qui établit une distinction entre les actions constituant un dialogue renforcé, les actions publiques et les actions constituant un acte de gestion. Un processus gradué quiaboutit à la vente d’actions s’il n’y a pas d’amélioration à la fin d’une période donnée; et
  • La façon dont cette politique d’engagement ESG est conforme aux objectifs de durabilité du fonds.

Alors que les efforts déployés antérieurement au pays et dans les régions pour promouvoir l’engagement ont été limités ou difficiles, ces normes visent à faciliter les campagnes d’engagement ambitieuses en fournissant un cadre exhaustif. Le modèle d’engagement ISR comprend une demande explicite à l’émetteur, des objectifs clairs et des degrés d’atteinte de ces derniers ainsi qu’une échéance prédéfinie pour l’évaluation et, au besoin, des mesures de suivi et un plan d’actions.

Les normes du label ISR 3.0 promeuvent également une plus grande transparence de la part des gestionnaires d’actifs en ce qui concerne leurs activités d’engagement auprès des parties prenantes. Une déclaration périodique couvrant ces engagements doit être publiée sur le site internet du gestionnaire d’actifs et doit indiquer le nombre d’engagements ESG réalisés, la proportion de sociétés de portefeuille où l’engagement a eu lieu, le classement des engagements ESG réalisés dans les catégories E, S et G, le degré de participation de la société de gestion à tout engagement ESG collectif réalisé, ainsi que les détails de tout autre engagement important.

Engagement général

Dans le cadre de la labellisation ISR 3.0, les sociétés de gestion doivent systématiquement s’engager avec les émetteurs représentant 30 % de leur portefeuille qui affichent les moins bons résultatsde par leur note ESG. Si aucune amélioration n’est observée après une durée maximale de trois ans (y compris les escalades potentielles), l’émetteur peut ne pas être conservé dans le portefeuille.

Engagement pour le climat

À compter du 1ᵉʳ janvier 2026, les sociétés de gestion devront s’assurer qu’en plus de 15 % du portefeuille investi dans des secteurs à impact élevé (voir « Ambition climatique » ci-dessus), au moins 20 % de plus de leur portefeuille dispose de plans conformes à l’Accord de Paris d’ici trois ans. Le seuil sera relevé chaque année sur recommandation du comité du label. Comme pour l’obligation générale de participation, si ces émetteurs n’ont pas mis en œuvre de plans conformes à l’Accord de Paris après une période de trois ans,ils pourraient ne pas être conservésdans le portefeuille.

En conséquence, des campagnes d’engagement thématiques ambitieuses sur ces entreprises, représentant au moins 20 % du portefeuille, devront être menées méticuleusement et annuellement.

Gestion de la controverse

Enfin, les nouvelles lignes directrices ISR mettent l’accent sur les lacunes des stratégies ESG d’une entreprise. Les gestionnaires d’actifs des fonds ISR devront accorder une attention particulière à l’identification, à l’analyse et au suivi des controverses.

Les nouvelles normes franchissent également une étape sans précédent en exigeant que la société de gestion fournisse sa politique de prévention et de vérification des controverses, et qu’elle précise les critères suivants :

  • Ses processus d’identification des controverses (sources, processus de suivi) ;
  • Sa méthodologie d’analyse des controverses identifiées. La méthodologie doit mener à une classification des controverses (par exemple : graves, confirmées, répétées) et à la détermination des controverses par rapport aux objectifs ESG du fonds;
  • Le processus d’escalade (notamment : initiation du dialogue, renforcement du dialogue, mise sous surveillance, action de la direction, etc.), les types d’actions et les délais résultant de l’analyse des différents niveaux de controverse identifiés, et le lien potentiel avec la politique d’engagement ESG;
  • Les conditions de levée des mesures prises contre les émetteurs qui font l’objet d’une controverse;
  • Les procédures mises en place par le comité et les outils utilisés pour surveiller les décisions prises;
  • La publication de toutes données formalisées sur les décisions relatives aux controverses au cours de la dernière année; et
  • Les conflits d’intérêts potentiels relevés entre la société de gestion et les émetteurs qui font l’objet de controverses identifiées.

La gestion des controverses peut, s’il y a lieu, être étroitement liée à la stratégie d’engagement de l’investisseur, particulièrement dans le contexte d’un processus d’escalade.

Conclusion

Plusieurs règles ISR 3.0 partagent au moins quelques pratiques communes de gestion ESG. Néanmoins, les gestionnaires d’actifs qui souhaitent utiliser le nouveau label ISR pour leurs fonds devront revoir leurs recherche et analyses, les activités de vote, l’engagement et la gestion des controverses et devront veiller à suivre scrupuleusement tous les critères énoncés dans cette mise à jour.